De plumes et de cendres (LAD 1 / HF4) : Extrait

Heather, par Thierry Clet
Grace, par Cha’peau rouge
Lisbeth, par Cha’peau rouge

Une surprise y attendait Heather dans la cuisine des Other…

 Suzy s’occupait de préparer le chocolat chaud et sucré du jeune Monsieur. Chiara se trouvait bien là, mais elle avait le dos collé aux armoires du vaisselier comme si elle voulait disparaître à l’intérieur. Assise en travers d’une chaise, un coude sur la table, une jambe croisée au-dessus de l’autre au vu de la déformation de sa robe et le fait qu’une seule chaussure pointait à terre, Cathy Hound trônait au milieu de la pièce. La préceptrice avait arrêté de parler quand Heather était rentrée et ses pupilles transpercèrent la servante brune comme si elle pouvait analyser son âme.

Heather chassa la désagréable impression d’être un insecte sur le point d’être épinglé par une chatte sauvage. Son visage se ferma et devint aussi lisse que celui des mauvais jours de Madame.

— Vous désirez quelque chose ? demanda-t-elle à l’enseignante d’une voix rugueuse.

Elle éprouvait une étrange sensation, celle que l’intruse n’avait rien à faire en cuisine. Sur son territoire.

— J’expliquais à Suzy et à votre subalterne que désormais il faudrait commander au livreur davantage de lait frais, l’informa Cathy Hound. Je l’ai attrapé devant les grilles et je lui ai pris le double des bouteilles habituelles, mais vous devrez le régler dès demain. J’ai aussi interpellé le petit crieur qui dépose les journaux sur le perron. Mon époux est friand du Blackwood, je l’ai fait rajouter à la matinale qu’on livrait déjà ici. Là encore, vous vous occuperez de reporter la note sur le cahier des dépenses, Heather.

La préceptrice s’était exprimée d’une voix sirupeuse qui avait hérissé les poils de bras de la servante brune. Elle réprima le tic qui manqua d’étirer un coin de ses lèvres.

— Autre chose ? demanda Heather d’un ton sec en oubliant volontairement le « madame ».

— Elle nous interdit la cave ! lâcha Suzy avec irritation.

— En effet, convint Cathy. Sur ordre de Dame Other, je le précise.

La dernière phrase empêcha Heather de rappeler que dans cette maison, elle était la seule à avoir le droit d’imposer ce qu’elle voulait aux autres domestiques. Les mâchoires aussi serrées que ses poings, elle dut écouter la préceptrice souligner l’interdiction :

— Une fois que le jardinier – Scott, c’est cela ? – aura descendu avec l’aide de Garry une grande table ronde en bas, vous ne serez plus autorisés à y aller.

— Et pourquoi ? s’enquit Heather avec aigreur.

— Parce que Lisbeth souhaite que je l’initie au spiritisme.

Chiara lâcha une exclamation surprise. Suzy lança un affolé : « Par les Tréfonds ! Vous voulez invoquer des fantômes dans cette maison ? » auquel Cathy Hound répondit par un rictus moqueur. Quant à Heather, voilà, ses poils de bras s’étaient redressés. Non pas à cause de cette histoire de spectres, mais simplement parce qu’elle avait haï comment la préceptrice avait appelé leur maîtresse par son prénom.

— Les Tréfonds ne comptent pas de morts-vivants, expliqua l’enseignante à la cuisinière d’un ton docte. Là-bas n’errent que des âmes perdues tentant de fuir en vain leur condamnation et les démons. Les rares vivants qui s’y rendent finissent dévorés, et donc morts. Rien n’existe entre ces deux états. Ce que vous, le petit peuple crédule et inculte, nommez les morts-vivants ne sont qu’une sous-espèce de Brouillons. Des corps revenus à une apparence de vie suite à une possession de leur enveloppe par une entité spirituelle. La fusion est plus ou moins complète avec l’âme du porteur, d’où le fait que certains revenants conservent leur mémoire et leurs anciennes habitudes.

— Et c’est ce genre de monstres que vous souhaitez inviter dans cette maison ? riposta Suzy. Que les Saints nous en préservent !

— C’est la volonté de Lisbeth, répondit la préceptrice avec une moue et un vague geste de la main. Qui suis-je pour dire à une veuve éplorée qu’elle court derrière une chimère ? La mort de son mari l’a ébranlée. Et malheureusement, la fumée d’une cigarette est une excellente démonstration du fait que parfois on peut voir et sentir quelque chose que l’on ne peut palper, attraper de ses mains et retenir contre soi. Mon exposé d’hier sur la terrasse se voulait philosophique, mais elle l’a pris de façon terre à terre. Qu’y puis-je ?

— Vous auriez dû la convaincre que c’est une folie ! argua Suzy.

Un nouveau sourire pointait-il sur les lèvres de l’enseignante ? Devant ses petites canines bien blanches, Heather s’imagina une bouche remplie de crocs acérés.

— Lisbeth est celle qui paie. Qui paiera. Et je ferai ce qu’elle demande. Même si sa volonté est incongrue, ses envies et ses ordres stupides ou dénués de sens. Ce qui est d’ailleurs mon opinion à son sujet, soit dit en passant.

— Vous êtes un fauve, l’accusa Heather en serrant des dents. Vous vous êtes trouvé une proie en la personne de la pauvre Madame, et vous allez la pressurer jusqu’au bout. Pour son argent. Et vous ne vous en cachez même pas ! Vous êtes une créature vile, démoniaque.