Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski

Audiobook lu par Jean-Christophe Lebert

Quatrième de couverture

Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier ».

Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère.

Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire.

Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…

Avis

Le style est une très grande force de ce roman. L’usage d’un vocabulaire précis, riche, avec un argot très poétique, dont on ne connaît pas tous les mots, mais qui est vite compréhensible, ce qui ajoute au charme.

Le ton rugueux plein de sarcasmes est un vrai délice ? J’ai ri régulièrement. Et dans les moments d’action, pas de temps mort. Il faut toujours replacer les écarts de langage et de mœurs des personnages dans l’époque fictive. Par contre, parfois, la narration se perd dans de longues descriptions. Il faut rappeler qu’il s’agit d’un auteur qui écrit aussi pour le jeu de rôle. Ainsi, ces passages concernant l’Ancien Royaume sont plus importants pour les joueurs que les lecteurs impatients. Ces intermèdes concernant l’univers peuvent prendre plusieurs pages, dans un ouvrage qui est déjà bien épais.

La narration est à la première personne. Les aventures sont racontées par le héros et régulièrement, il nous interpelle souvent. Ainsi, désormais mis au courant des manigances des Grands de Ciudalia, nos vies sont à présents en danger. ^^

Les magies pratiquées donnent un véritable cachet à cet univers. Ainsi, on découvre peu à peu et des types de magie assez différentes entre les camps, les elfes et les autres praticiens de l’art ou de la théologie.

Le héros est donc un assassin reconnu, un maître espion de l’un des plus grands sénateurs de la ville, un ancien barbouze et mercenaire. Il se fait copieusement casser la gueule de de l’une de ses missions, ce qui lui vaudra une reconnaissance méritée et imméritée selon ses interlocuteurs. Mais les honneurs et la disgrâce ne sont jamais bien loin l’une de l’autre. Cudalia ressemble à une ville italienne de la Renaissance qui aurait gardé un système politique digne de la Rome antique. La République est confrontée à un empire oriental, à des baronnies d’allures médiévales européennes et aux Marches : une zone floue issue d’affrontements magiques de grandes ampleurs, pays où l’on peut croiser quelques autres races, elfiques et naines incluses.

Côté scénario, il s’agit d’un récit d’aventure d’action, de mensonges, de complots, de vendettas. Benvenuto est fasciné par son patron, un politicien retors et ambitieux. Il est en bisbille avec l’un des plus grands maîtres peintres de la ville. Il va souvent côtoyer un sorcier nécromant aussi pourri, ambitieux qu’urbain. Ses relations avec la fille de son boss vont être une belle source d’ennuis. Sans compter tous ceux prêts à lui enfoncer un poignard dans le bide ou à le pendre haut et court.

Benvenuto a pourtant le chic pour éviter de se jeter dans les batailles s’il peut rester en retrait. En revanche, il ne sait pas résister à un jeu de cartes. En tout cas, il est un très bon conteur de récit, et à la fin du roman, il sera obligé d’être héroïque contre son gré afin de finir avec un épilogue absolument excellent.

On retrouve dans ce récit l’absence de manichéisme propre à un large pan de la fantasy moderne francophone. On a plaisir d’être au côté de ce salaud sympathique dont la rage de vivre nous fait tourner page après page l’énorme pavasse de ses errances et aventures.

Un chef d’œuvre, tout simplement, primé une unique fois alors qu’il aurait dû raffoler tous les prix de SFFF français l’année de sa sortie tant il est exceptionnel.